La révolution Bitcoin en Iran

Marius Farashi Tasooji
4 février 2024
Dans ce rapport j'explore l'utilisation croissante du Bitcoin par les Iraniens, une population confrontée à des défis économiques ainsi qu'à la censure de leur gouvernement et des puissances étrangères. J'ai pour objectif de retranscrire comment le Bitcoin sert d'outil de protection de libertés et de préservation de la valeur dans un contexte économique et politique complexe.

Sommaire

Avant-proposContexte historiqueLe quotidien des IraniensL'inflationLe chômageLe système bancaireLa censure du gouvernementLes manifestationsComment les Iraniens se positionnent-ils ?De quelle manière les Iraniens utilsent-ils Bitcoin ? Et pourquoi ?Protection contre l'inflationContourner les sanctions et interdictionsRecevoir leurs salairesQuels sont les freins à l'adoption de Bitcoin en Iran ?L'adoption de Bitcoin en statistiquesL’adoption iranienne de Bitcoin et des cryptomonnaies en chiffresLes lois cryptos en IranPerspectives d'avenir

Avant-propos

Pour de nombreuses personnes peu familières aux infrastructures financières décentralisées, communément appelées « blockchains » ou « cryptomonnaies », il peut être difficile de saisir l’importance de Bitcoin pour certaines communautés.

D’un point de vue occidental, il est fréquent de catégoriser, peut-être inconsciemment, la population mondiale en 2 larges groupes. Le premier, auquel appartiennent les Occidentaux, bénéficie d’un accès à l'électricité, à l’eau potable, à Internet, et au système bancaire. Le second, vivant en marge de la société dans une extrême pauvreté.

Mais la réalité est plus complexe et nuancée. À divers endroits autour du globe, certaines populations disposent d’un accès relativement simple à Internet, mais n’ont ni les moyens ni le besoin d’ouvrir un compte en Banque.

Une autre partie du monde, à laquelle appartient la population iranienne, dispose d'un accès à Internet et au système bancaire. Cependant, l'utilisation de ces services est strictement contrôlée, surveillée et censurée par le gouvernement.

En oubliant le point de vue occidental, on réalise que Bitcoin dépasse son rôle de simple actif spéculatif.

En effet, Bitcoin est un réseau d’échange de valeur résistant à la censure et de pseudonyme. Ces caractéristiques lui donnent une utilité sociale souvent négligée par ses détracteurs.
...

Dans mon document Orange is the new Green, je soulignais le rôle de Bitcoin en tant que catalyseur de la transition écologique, réfutant les arguments le considérant comme un actif excessivement polluant. Un point fréquemment soulevé par des individus qui, ironiquement, sont à la tête de politiques et d'investissements générant des millions de mètres cubes de CO2 chaque année.

Avec ce texte, je poursuis la réflexion en cherchant à démontrer que Bitcoin est aussi un outil efficace contre la censure des gouvernements.

...
Étant français et iranien, la remise en question de l'autorité établie est une qualité profondément ancrée dans mon identité. C'est donc animé par un désir de révolution et de changement que j'ai entamé mes recherches.

J’ai rapidement compris combien il était difficile de parler des outils, tels que Bitcoin, utilisés pour contourner la censure de la République Islamique d’Iran.

En tentant de recueillir des témoignages sur plusieurs réseaux sociaux, j'ai été exclu de certains groupes, mes messages ont été supprimés et j'ai même été accusé d'être un agent du gouvernement.

Parmi les personnes contactées, la majorité n’a pas répondu ou a explicitement refusé de témoigner.

L’un d’entre eux a volontairement proposé de traduire mes questions en farsi, puis de les partager avec d'autres membres de la communauté Bitcoin/cryptos iranienne.

Malheureusement, cette personne a fait face à de nombreuses critiques pour avoir entrepris d’obtenir des informations auprès des personnes qui contournent les lois. Après plusieurs jours d’hésitation, il a finalement partagé les questions, précisant qu’y répondre n’était pas obligatoire. Finalement, 7 personnes ont répondu au questionnaire traduit.

Au total, j'ai recueilli 13 témoignages. Bien que certains participants aient accepté de révéler leur identité, j'ai décidé de ne divulguer ni noms ni pseudonymes. Les déclarations et les actions mentionnées dans ces témoignages pourraient les exposer à des représailles du gouvernement, y compris à un risque d'emprisonnement.

Ainsi, dans les récits rapportés dans ce document, j'utiliserai des profils fictifs portant les noms les plus populaires du pays : Ali, Mohammad, Fatemeh, Reza, Zahra, Maryam, Hossein, Nima et Leila.

Pour découvrir les coulisses de la création de ce rapport, je vous encourage à écouter le podcast de BitGuide, où j'ai répondu à de nombreuses de leurs questions.
Obtenez une réduction de 0,5 % sur vos achats de Bitcoin avec Relai App en utilisant le code : MARIUSAAB

Contexte historique

En janvier 1979, Mohammad Reza Pahlavi, le dernier chah d’Iran, fut contraint de quitter l'Iran à la suite de nombreuses protestations. Son départ a ouvert la voie à Rouhollah Khomeini, qui, après 15 ans d'exil, a fédéré communistes, mujahideen, libéraux et démocrates.

À son retour en Iran, Khomeini déclare la fin de la monarchie le 11 février 1979, établissant d’abord un gouvernement provisoire, puis instaurant la République Islamique d’Iran le 1er avril de la même année.

En novembre 1979, des étudiants iraniens ont envahi l’ambassade des États-Unis à Téhéran, prenant en otage son personnel, les accusant d'espionnage. Cette crise des otages a fortement dégradé les relations entre les États-Unis et l'Iran, conduisant à l'imposition de sanctions économiques.

En 1980, l'Irak envahit l'Iran, pensant pouvoir jouer de l’instabilité du pays. La guerre qui s'étendra sur 8 ans, faisant entre 600 000 à 1,2 million de morts, a finalement renforcé le régime iranien et a promu le culte du martyre dans le pays.

Les sanctions imposées à l'Iran ont fortement affecté ses relations internationales et son développement économique. Elles ont entraîné un taux de chômage élevé, en particulier chez les jeunes, et une inflation importante du rial iranien.
Gel de 12 milliards de dollars d’Actifs Financiers par les États-Unis
Durant la guerre Iran-Irak, les États-Unis imposent un embargo sur les armes et interdisent les crédits financiers à l'Iran, en raison des liens présumés avec le Hezbollah.
Cette mesure limite l'accès de l'Iran à la technologie et aux équipements militaires modernes, pouvant affecter sa sécurité nationale et, indirectement, sa stabilité interne.
Les États-Unis mettent en place un embargo sur le pétrole iranien, il réduit les revenus pétroliers de l'Iran, impactant directement son économie nationale,  les services publics ainsi que le niveau de vie de ses citoyens.
La loi d'Amato-Kennedy empêche toute entreprise étrangère d'investir plus de 20 millions de dollars en Iran, en particulier dans le secteur des hydrocarbures en Iran, affectant l'emploi et l'économie du pays.
Les Nations Unies et l'Union européenne mettent en place un embargo sur les armes iraniennes incluant les équipements de surveillance de télécommunication et le matériel nucléaire à usage militaire. Cet embargo a affaibli les capacités de défense et d'attaque de l'Iran, influençant la sécurité et la stabilité dans la région.
La Comprehensive Iran Sanctions, Accountability, and Divestment Act (CISADA) par les États-Unis impose un nouvel embargo sur le pétrole iranien et sanctionne les services financiers étrangers qui opèrent avec l'Iran. Il en résulte une pénurie de produits et services essentiels, affectant la vie quotidienne des Iraniens.
Les sanctions de l'Union Européenne sur le secteur énergétique iranien interdisent l'importation d'hydrocarbures iraniens et gèlent les actifs financiers de la République d'Iran. Elles imposent également des restrictions supplémentaires sur les exportations d'hydrocarbures iraniens et déconnectent les banques iraniennes du réseau SWIFT.
Les États-Unis se retirent du Plan d’Action Global Commun qui entraîne le rétablissement des sanctions économiques étatsuniennes, augmentant le coût de la vie, l'inflation, et exacerbant les difficultés quotidiennes pour les Iraniens.
En raison du non-respect par l'Iran des normes de financement du terrorisme, les Mesures du Groupe d'Action Financière (GAFI-FATF) rendent les échanges commerciaux avec l'Iran plus difficiles. Elles renforcent les restrictions financières, entravant les transactions commerciales internationales et l'accès aux marchés financiers, ce qui peut affecter les importations de biens essentiels.
Des sanctions en réponse aux manifestations en Iran sont prises par le Canada, le Royaume-Uni et l'UE principalement contre des structures et dirigeants iraniens, notamment en raison de la fourniture de matériel militaire à la Russie. Ces sanctions aggravent les tensions internes et la répression, influençant négativement les libertés civiles et la qualité de vie.

Le quotidien des Iraniens

Mon but n’est pas d’évaluer les justifications des sanctions internationales, mais de vous apporter un aperçu plus précis du quotidien des Iraniens dans un contexte économique sous embargo et influences géopolitiques.

L'inflation

L'inflation est une conséquence directe d’années d’instabilité économique en Iran. Le Rial iranien (IRR) souffre d’une forte inflation depuis au moins un demi-siècle, avec un pic de 49,7 % en 1995, et une moyenne autour de 40 % par an depuis 2019. En 10 ans, le Rial iranien a perdu plus de 95 % de sa valeur.
Taux d'inflation en Iran entre 1960 et 2023 – The World Bank

Le chômage

Les statistiques officielles indiquent un taux de chômage de 7,5 %, atteignant 20,5 % chez les moins de 24 ans. Cependant, ces chiffres sont controversés, accusés d'être minimisés par le gouvernement.

De nombreux Iraniens travaillent au noir ou perçoivent une partie de leur salaire de manière informelle pour réduire les charges fiscales et atténuer l'impact de l'inflation.

À ce propos Mohammad m'expliquait :
« Supposons que mon salaire soit de 500 dollars. Le premier jour du mois, l'employeur verse officiellement 150 dollars de mon salaire pour réduire les charges. Ensuite, il me verse le reste, soit 350 dollars, de manière informelle. »

Le système bancaire

Les sanctions prises par les États-Unis et l’Union européenne contre l’Iran limitent fortement les transactions financières des Iraniens. Ils se trouvent dans l'incapacité d'envoyer ou de recevoir de l'argent de l'étranger, et sont également limités dans l'achat de produits ou services internationaux.

Pour contourner ces restrictions, les entreprises iraniennes ouvrent souvent des filiales et des comptes bancaires à l'étranger, notamment à Dubaï et en Corée du Sud.

La censure du gouvernement

En plus des sanctions internationales, le gouvernement iranien impose une censure stricte, elle se matérialise de différentes manières.

Malgré l'invitation générale à voter, les résultats électoraux sont toujours manipulés en faveur du Guide suprême, les citoyens iraniens se trouvent donc dépourvus de toute influence sur les élites qui dirigent le pays.

Cette censure s'étend également à Internet, qui est fortement restreint en Iran. Les Iraniens sont privés de l'accès à de nombreux sites web et réseaux sociaux couramment utilisés en Occident. Le seul moyen pour eux de contourner ces restrictions est l'utilisation de VPN. Les applications de messagerie chiffrée, telles que Telegram, sont parmi les quelques moyens de communication libre.

Parlant de cela, Ali me disait :
« Nous n'avons même pas accès au système financier mondial, et de nombreuses routines quotidiennes que les jeunes dans les pays riches tiennent pour acquises sont inaccessibles pour nous. Par exemple, notre accès à Spotify est limité. Beaucoup peuvent trouver cela amusant, mais nous combattons deux ennemis : l'ennemi intérieur, qui nous a imposé de nombreuses restrictions et nous a privés de notre liberté, et l'ennemi étranger, dont les sanctions ont directement affecté la vie des gens ordinaires.
[...]
Cela peut être difficile à croire, mais avoir accès à un internet libre est devenu un objectif majeur pour nous. »

Les manifestations

Depuis 1979, plus de 4000 citoyens iraniens ont été tués et au moins 36 000 emprisonnés lors de diverses manifestations.
Lors des manifestations contre le Shah Mohammad Reza Pahlavi, les violences s'étendaient à presque toutes les grandes villes rassemblant des millions de participants.
Entre 2 000 et 3 000 personnes furent tuées et plusieurs milliers emprisonnés.
Pendant les manifestations étudiantes de 1999, déclenchées par la fermeture d'un journal réformiste, les troubles se sont étendus à plusieurs villes, mobilisant environ 10 000 personnes. Au moins 4 personnes ont été tuées et les estimations du nombre de détenus varient entre 1 200 et 1 400.
Suite à des accusations de fraude électorale, d'importantes manifestations ont éclaté dans au moins 10 grandes villes, impliquant des millions de participants. La répression gouvernementale a tué au moins 100 manifestants et arrêté au moins 4 000 personnes.
Les protestations économiques de 2017-2018, débutant à Mashhad et s'étendant à plus de 140 villes, ont fait au moins 22 morts et 3 700 arrestations.
Lors des manifestations de 2019, provoquées par une hausse soudaine des prix du carburant et affectant 100 villes du pays, au moins 304 personnes ont été tuées et plus de 7 000 arrêtées.
Les manifestations de 2022 à la suite du meurtre de Mahsa Amini se sont répandues dans les 31 provinces, entraînant la mort de plus de 500 personnes, l'exécution de 7 individus, et la détention de près de 20 000 personnes.
Afin de mieux saisir l'étendue de ces manifestations, prenons l’exemple du meurtre de Mahsa Amini.

Cette jeune femme de 22 ans, arrêtée pour un port jugé inapproprié du hijab, est décédée le 16 septembre 2022 des suites de blessures infligées par la police. Alors que les autorités évoquent une crise cardiaque, sa famille accuse la police de l'avoir battue.

En réaction, des manifestations éclatent, d’abord locale, elles se sont rapidement étendues à travers le pays. En signe de protestation, de nombreuses femmes ont brûlé leurs hijabs et coupé leurs cheveux.

Face à ces mouvements, la police et l’armée ont répondu avec brutalité, causant la mort de plus de 500 manifestants, l’arrestation d’environ 20 000 personnes, et l’exécution de 7 d’entre elles.

Bien que centrées sur le droit des femmes, ces manifestations reflètent une frustration plus large envers le régime en place.

Comment les Iraniens se positionnent-ils ?

L’Iran est un pays vibrant de vie. Bien que tout, ou presque, soit interdit et contrôlé, les Iraniens ont toujours trouvé des solutions pour contourner chaque interdiction.

L'attrait de l'interdit a toujours été un aspect fondamental de la nature humaine, et les Iraniens ne font pas exception. Le gouvernement interdit la consommation d'alcool ? Pourtant, il est facile d'en obtenir. Certains types de musique sont proscrits ? Il y a des tonnes de boîtes de nuit, des groupes de rap/rock/métal, etc. Les réseaux sociaux sont sous le coup d'interdictions ? Malgré tout, quasiment tout le monde possède un compte Instagram.

Jusqu’à récemment, il était presque impossible pour les Iraniens de contourner les sanctions bancaires ou d'accéder à une réserve de valeur, Bitcoin change la donne.
Malgré les positions du gouvernement, et l’image que les médias peuvent répandre, le peuple iranien est très ouvert à l’occident. Au total, on estime à près de 4 millions d’Iraniens émigrés, dont 1,5 million aux États-Unis, et 1,2 million en Europe.

Bien que le mot « République » figure dans le nom officiel de l’Iran, le gouvernement n’a rien d'une démocratie.

Concernant ce sujet, Ali me disait :
« Suite aux importantes protestations publiques l'année dernière en réponse au meurtre de Mahsa Amini par le gouvernement, l'aspiration au changement en Iran s'est intensifiée. Malgré le fait que de nombreux professionnels et intellectuels soient partis et que le pays souffre actuellement d'une pénurie de main-d'œuvre qualifiée, nous espérons tous que les jours sombres passeront et montreront au monde que les Iraniens sont un peuple aimant la paix qui souhaite communiquer avec le reste du monde. Nous voulons démontrer que ces gens ne sont pas comme le régime islamique. Il est notable de mentionner que la majorité des Iraniens ne se considèrent pas comme musulmans et ont abandonné la foi »

De quelle manière les Iraniens utilsent-ils Bitcoin ? Et pourquoi ?

Bitcoin est une monnaie numérique décentralisée qui est résistante à la censure. Contrairement aux systèmes monétaires traditionnels, Bitcoin opère sans autorité centrale, grâce à un réseau de nœuds indépendants qui valident les transactions. Cette structure rend extrêmement difficile le blocage ou la restriction des transactions par une seule entité, garantissant ainsi une plus grande liberté financière pour ses utilisateurs.

D’autres infrastructures blockchain, telles qu’Ethereum, bénéficient plus ou moins des mêmes qualités de résistance à la censure, et permettent l’échange de tokens adossés à un autre actif, comme l’USDT de Tether. L’USDT est un stablecoin conçu pour maintenir sa valeur à celle du dollar US.

Contrairement au dollar et aux monnaies fiduciaires, Bitcoin est rare, ce qui se traduit par une tendance à la hausse de sa valeur à long terme.

Protection contre l'inflation

L'une des principales raisons pour lesquelles les Iraniens utilisent Bitcoin et les cryptomonnaies est de lutter contre l'inflation.

Avec une inflation atteignant près de 40 % en 2023 et 95% au cours des 10 dernières années, le Rial iranien n’est pas une monnaie faite pour être gardée dans le temps.

Parmi les options disponibles pour les Iraniens, il y a celle de convertir leurs rials en dollars. Bien qu'elle soit possible c’est une opération complexe et coûteuse, principalement en raison des restrictions internationales.

L’USDT permet donc aux Iraniens de détenir et d’échanger l’une des monnaies les plus stables au monde.

Cependant, l’utilisation des USDT n’est pas sans risque. Géré par la société Tether, il s’est plusieurs fois décorrélé de la valeur réelle du dollar qu’il est censé suivre. D'autres stablecoins, similaires à l’USDT, ont perdu leur parité avec le dollar sans jamais la retrouver, un phénomène qui pourrait aussi lui arriver.

De plus, si l'usage de l'USDT par les Iraniens venait à susciter des préoccupations aux États-Unis, il pourrait être envisagé que Tether soit sollicité pour geler tous les tokens associés à l'Iran, ce qui empêcherait ses utilisateurs de continuer à l'utiliser et entraînerait la perte de leurs fonds.

Il est également important de noter que le dollar est également soumis à l'inflation, bien que celle-ci soit moins prononcée que celle du Rial iranien. Le dollar US a perdu environ 25 % de sa valeur au cours des 10 dernières années.

En ce qui concerne Bitcoin, bien qu'il soit volatile à court terme, il s'est révélé être l'actif ayant le mieux préservé sa valeur à long terme, passant d'environ 3 000 dollars en 2018 à près de 50 000 dollars en janvier 2024.

Comparé au Rial iranien, il offre une protection encore plus solide, sa valeur actuelle dépassant les 22 milliards de Rials, un record jamais atteint auparavant.
Le cours du Bitcoin face au dollar (orange) et le cours du Bitcoin face au rial iranien (bleu) – Nobitex
Voici quelques témoignages concernant l'inflation :
« J’investis en Bitcoin pour préserver la valeur de l'argent que j'ai et pour éviter de perdre mon capital »
- Fatemeh
« Le point clé ici est que les cryptomonnaies en Iran sont principalement utilisées pour conserver la valeur. Les gens en Iran font souvent la queue pour acheter des dollars en cash, qui sont désormais en pénurie. L'intérêt des gens pour Tether a augmenté une fois qu'ils en ont fait connaissance. Actuellement, il y a peu de personnes qui ne sont pas familières avec les cryptomonnaies. »
- Ali

Contourner les sanctions et interdictions

Grâce à la décentralisation du réseau de Bitcoin et des autres blockchains, le BTC et l’USDT deviennent des moyens de contourner la censure.

D’un côté, ces actifs échappent aux interdictions du gouvernement, tandis que de l’autre, les utilisateurs peuvent facilement contourner les restrictions internationales et effectuer des transferts et paiements à l’étranger.

Ainsi, de nombreux services en ligne et produits sont achetés de manière non déclarée avec Bitcoin et l’USDT.

Pourquoi ne pas le déclarer ? La plupart du temps, c’est parce que les produits souhaités sont interdits à l’achat par le gouvernement.

Voici quelques extraits de témoignages décrivant les différentes manières dont ils dépensent leurs bitcoins :
« Oui, cela [Bitcoin] a également eu un impact sur la vie de mes proches. La censure du gouvernement a diminué la qualité de notre vie. »
- Fatemeh
« La principale raison pour laquelle j'utilise le réseau Bitcoin réside dans les sanctions et les restrictions imposées à certains produits en Iran. Cela m'a contraint à effectuer des paiements en utilisant des cryptomonnaies. Ces contraintes s'appliquent également à d'autres personnes, et à mon avis, elles devraient aussi adopter Bitcoin. Les interdictions ont un impact significatif sur notre capacité à mener une vie normale.
Principalement, je l'utilise pour acheter des logiciels et pour transférer de l'argent vers les destinations souhaitées. Il y a déjà aussi quelques magasins qui acceptent les paiements en Bitcoin. »
- Reza
« Comme vous le savez peut-être, les Iraniens sont fortement impliqués dans Bitcoin car on a la plus faible économie de l’histoire. Les gens vivent avec Bitcoin, mais personne n'en parle ouvertement.
Si vous souhaitez inclure ces informations dans votre enquête ou article, vous pouvez mentionner que même le paiement des loyers de certains appartements dans les zones nord (chères) de Téhéran se fait en USDT.
En Iran, tout le monde sait qu'il ne doit pas divulguer sa possession de Bitcoin. Mais presque tout le monde en possède.
Bitcoin a une dimension beaucoup plus politique qu'économique, sociale ou culturelle en Iran. Les gens l'utilisent principalement pour s'opposer au gouvernement. »
- Muhammad
« Les transferts et achats internationaux avec Visa et Mastercard sont très compliqués et entraînent de nombreux coûts annexes, et ils sont également sujets aux sanctions, donc le Bitcoin résout tous ces problèmes. »
- Zahra
« J'ai utilisé Bitcoin pour transférer des fonds sur la recommandation d'un ami. Bien que la conversion de Bitcoin en monnaie fiduciaire n'était pas aussi simple à l'époque, cet outil a été une aubaine pour un Iranien. Par la suite, j'ai approfondi mes connaissances sur la technologie et j'ai commencé à explorer la blockchain. C'était un univers captivant, d'autant plus que je pouvais acheter certains abonnements en utilisant Bitcoin ou d'autres cryptomonnaies. »
- Ali
« J'ai entendu parler du Bitcoin de mes amis en 1396 (selon le calendrier iranien, qui correspond à 2017 ou 2018 du calendrier grégorien), mais ce n'est qu'en 1401 (2022 ou 2023) que je l'ai utilisé pour acheter un VPN pendant les protestations pour Mahsa Amini. »
- Maryam
« J'ai utilisé le Bitcoin dans un fast-food et chez le dentiste, il me sert aussi de réserve de valeur »
- Hossein
« Avec le développement du Lightning Ntwork, il y a de nombreux magasins qui acceptent Bitcoin »
- Nima

Recevoir leurs salaires

Plusieurs personnes interrogées ont témoigné du fait qu'elles, ainsi que certaines de leurs connaissances, demandraient à être rémunérées tout ou partie de leur salaire en USDT ou en Bitcoin.

Selon eux, les Iraniens adoptent cette méthode afin de minimiser leur imposition fiscale, ce qui pourrait avoir des conséquences graves sur leurs économies.
« D'autre part, à l'intérieur du pays, nous sommes confrontés à la censure et à des restrictions gouvernementales, c'est pourquoi nous utilisons Bitcoin et Tether pour se faire payer nos revenus en tant que travailleurs indépendants »
- Maryam

Quels sont les freins à l'adoption de Bitcoin en Iran ?

Une des personnes interviewées, répondant sous le pseudo de Stupid Risks, a mené une expérience de plusieurs mois pour identifier les obstacles et évaluer la facilité d'initier de nouvelles personnes à Bitcoin.

Premièrement, Stupid Risks estime que l'accès à des informations pertinentes permettant de comprendre les aspects techniques, économiques et sociaux de Bitcoin n'est pas particulièrement difficile pour les Iraniens.

Selon lui, bien que la maîtrise de l'anglais soit un avantage, il existe suffisamment de contenu sur les réseaux sociaux (principalement YouTube et Telegram) vulgarisant Bitcoin et expliquant comment créer et sécuriser un portefeuille Bitcoin/Lightning, ainsi que comment l'utiliser.

Cependant, Stupid Risks identifie plusieurs lacunes pouvant être comblées. Il pense que créer une communauté grandissante et bienveillante, idéalement dirigée par des célébrités ou des personnes influentes, serait un atout.

Il explique pourquoi ce sera difficile à réaliser : 
« Une partie de ce problème vient de l'ignorance des célébrités et des médias soi-disant bienveillants quant à l'importance et la puissance de Bitcoin. Une autre partie est due aux restrictions et dangers que le gouvernement peut imposer aux utilisateurs de Bitcoin dans le pays. Solution : il est essentiel que certains d'entre nous négocient et organisent même des meetups. »
Stupid Risks ne pense pas qu’une coupure prolongée d’électricité ou d’Internet soit probable, même sous un régime comme celui de l’Iran, mais il le considère tout de même comme une éventualité.

À mon avis, le risque de coupure d'Internet est souvent surestimé, surtout avec l'émergence de solutions permettant l'envoi de Bitcoin par SMS, telles que Machankura 8333.

Le principal problème soulevé par Stupid Risks concerne les idées reçues sur les monnaies. Beaucoup croient que détenir de l'argent physique est plus sûr qu'en version numérique, et que les monnaies autres que le rial sont encore adossées à des actifs réels.

En réalité, depuis les années 70, aucune monnaie nationale n'est adossée à quoi que ce soit. Elles dépendent toutes de la politique monétaire d’un gouvernement et de sa banque centrale.

Stupid Risks souligne, à juste titre, que pour une adoption plus large de Bitcoin en Iran, les Iraniens doivent comprendre que, même s’il est numérique, Bitcoin est intrinsèquement rare et plus fiable que les monnaies fiduciaires.

Il dit : 
« Le premier obstacle mental est la croyance populaire dans la fausse dichotomie "argent physique contre argent virtuel" au lieu de "monnaie fiduciaire contre monnaie solide. »
Les derniers problèmes évoqués par Stupid Risks sont également communs en Occident :
- la majorité des investisseurs sont attirés par l'appât du gain et se dirigent vers des cryptomonnaies plus risquées et moins efficaces contre la censure et l'inflation ;
- les Iraniens restent attachés à la garde de leurs actifs par un tiers, même en étant conscients de la corruption bancaire et du risque de saisie dans le pays ;
- Bitcoin, étant une nouvelle monnaie et technologie, il souffre de l'indifférence et du manque de curiosité qu'a la population pour se renseigner et apprendre pour pouvoir l'utiliser efficacement.

L'adoption de Bitcoin en statistiques

Bien que les témoignages soient importants, ils sont souvent biaisés et influencés par les opinions et les positions des personnes qui s'expriment.

C'est pourquoi je vais maintenant me référer à un rapport publié par le média ArzDigital, intitulé « L'espace des Cryptomonnaies en Iran - 1402 ». Ce rapport constitue une étude statistique sur l'utilisation des cryptomonnaies par les citoyens et les entreprises iraniennes.

L’adoption iranienne de Bitcoin et des cryptomonnaies en chiffres

Voici une liste non exhaustive des statistiques les plus intéressantes :
- 25 % des Iraniens possèdent des cryptomonnaies ;
- 32,2 % s'y sont intéressés, et 29 % en ont déjà possédé ;
- 48,9 % des personnes qui n'en possèdent pas déclarent ne pas avoir suffisamment d'informations sur le sujet pour sauter le pas.
Parmi les Iraniens qui possèdent des cryptomonnaies :
- 38,10 % n'ont investi dans aucun autre marché ;
- En novembre 2023, 53 % étaient en perte  (Bitcoin était sous les 35 000 dollars) ;
- 61 % ont investi avant 2021 ;
- 82,10 % investissent pour lutter contre l'inflation ;
- 21,90 % utilisent la finance décentralisée (DeFi) ;
- 9,60 % utilisent les cryptomonnaies pour transférer ou recevoir de l'argent de l'étranger ;
- 7,70 % utilisent les cryptomonnaies pour l'achat de biens ou de services ;
- 76,6 % estiment que les sanctions internationales sont un frein à l'accès aux cryptomonnaies ;
- 57,20 % estiment que les restrictions liées à l'accès à Internet (comme l'obligation d'utiliser des outils de changement d'IP) sont un frein ;
- 68,10 % investissent à long terme (plusieurs mois ou années, "Hodl").
La cryptomonnaie la plus courante est le Bitcoin, suivi de Dogecoin et de Shiba Inu en deuxième et troisième position. Ethereum se classe seulement cinquième derrière Cardano.
Des plateformes d'échanges locales ont été créées, elles offrent différents avantages :
- 84,10 % les utilisent plutôt que des plateformes étrangères car ils peuvent payer directement en Rial ;
- 45,5 % parce qu'il serait plus probable d'obtenir un suivi légal en cas de faillite ;
- 34,70 % car les applications sont en Farsi, soulignant ainsi l'importance de la documentation dans la langue locale.
Cependant, ces plateformes rencontrent plusieurs obstacles, notamment des frais élevés. En effet, 52,70 % des utilisateurs estiment que les frais de retrait sont excessifs, équivalant aux frais pratiqués par Binance en Europe, soit environ 20 dollars pour les retraits en BTC.

En ce qui concerne les frais, l'une des personnes interviewées m'a informé d'une technique permettant de contourner ces frais, en effectuant un « atomic swap » via Boltz en retirant les BTC sur Lightning pour les recevoir on-chain. Cela permettrait d'économiser environ 90 % des frais normalement payés aux plateformes.

Selon le rapport d'ArzDigital, si l'on devait représenter le profil moyen des investisseurs iraniens en cryptomonnaies par une seule personne, il s'agirait d'un homme âgé de 38 ans, résidant à Téhéran, dont le portefeuille est réparti de la manière suivante : 22 % en BTC, 18 % en DOGE, 17 % en SHIBA, 15 % en ADA, 12 % en ETH, 10 % en TRON et 6 % en USDT.

Les lois cryptos en Iran

En ce qui concerne la régulation des cryptomonnaies en Iran, plusieurs mesures importantes ont été mises en place par le gouvernement pour encadrer l’industrie. Voici un aperçu des principales réglementations en vigueur :
- Régulation du minage de Bitcoin : Le gouvernement iranien exige désormais des licences pour le minage de Bitcoin, dans le but de réguler cette activité, en particulier en ce qui concerne la consommation d'énergie et la conformité aux normes établies. Des directives spécifiques ont été émises concernant l'approvisionnement en électricité pour les mineurs de Bitcoin.
- Limites sur les transactions de change : La Banque centrale d'Iran impose des restrictions sur les montants des dépôts et des retraits effectués sur les plateformes d'échanges de cryptomonnaies. Une licence est nécessaire pour formaliser le fonctionnement de ces plateformes et garantir leur conformité aux normes réglementaires.
- Fiscalité des cryptomonnaies : Actuellement, l'achat et la vente de cryptomonnaies ne sont pas soumis à des taxes en Iran. Bien que le Parlement ait proposé d'imposer des taxes sur les transactions en cryptomonnaies, cette mesure a été rejetée, principalement en raison du manque de définition légale claire des cryptomonnaies.
L'opinion publique sur l'approche des institutions gouvernementales envers les cryptomonnaies varie : 11,9 % des personnes interrogées souhaitent une libéralisation maximale de l'utilisation des cryptomonnaies, tandis que 65,0 % préfèrent une législation et un contrôle modérés de cet espace. Enfin, 23,1 % sont en faveur de limiter autant que possible l'espace des cryptomonnaies.

Perspectives d'avenir

Bitcoin, ainsi que d'autres cryptomonnaies, dans une moindre mesure, se révèlent être des outils qui permettent aux Iraniens de contourner la censure du gouvernement, les sanctions internationales ainsi que la forte inflation qui touche l’Iran depuis plusieurs décennies.

Pour les Iraniens, Bitcoin ne se limite pas à être un simple actif spéculatif, mais aussi un moyen de se libérer de l’emprise des gouvernements. L'augmentation de son adoption en Iran est un signe prometteur pour l'avenir du pays. Pas seulement parce que je pense qu’il prendra en valeur et enrichira ses utilisateurs, mais surtout parce qu’il représente une forme de monnaie nécessaire à la vie d’une démocratie.

Cependant, l’utilisation de Bitcoin comporte plusieurs défauts : 
- Sa volatilité : bien que souvent citée comme un frein, la volatilité de la valeur du BTC diminuera avec son adoption. De plus, dans le cadre d'une stratégie d'investissement à long terme, l'impact de celle-ci devient peu important ;
- Sa nouveauté : il est indispensable d'éduquer les utilisateurs sur une utilisation sécurisée et prudente de Bitcoin ;
- Les frais de transaction : lorsqu'ils sont élevés, ils poussent les utilisateurs à se tourner vers des portefeuilles plus centralisés (plateformes d’échanges ou portefeuilles custodials), une limitation qui est en train d’être résolue avec des solutions comme Phoenix Wallet, Fedimint, et d’autres.
De plus, la situation économique de l'Iran vit une évolution importante. L'intégration du pays dans les BRICS et son alliance économique avec la Russie pourraient ouvrir davantage l'Iran au monde extérieur, la libérant ainsi des restrictions occidentales.

En intégrant le Bitcoin, ou simplement en tolérant son utilisation, l'Iran pourrait favoriser l'émergence d'une économie parallèle. Cela représenterait une opportunité pour le pays de tirer profit de cette nouvelle dynamique économique tout en permettant à sa population de se libérer des contraintes internationales qui lui sont imposées.

Les monnaies fiduciaires sont conçues par les élites et pour les élites. Le concept même de l’impression monétaire exclut la population, alors que c’est elle qui donne la valeur à ce moyen d'échange. Tandis que Bitcoin, étant un actif rare, facilement transportable, transférable et divisible, il est le candidat idéal qui coche toutes les cases d’une bonne monnaie. De plus, sa résistance à la censure permet aux populations qui n’ont pas eu la chance de naître au bon endroit de s’émanciper.

Au-delà de montrer l’utilisation de Bitcoin en Iran, l’objectif de cet écrit est de mettre en lumière les injustices profondément enracinées dans notre système économique et politique. Ce système laisse une partie de la population en marge de la société tout en favorisant une autre qui est considérée comme plus « méritante ».

Pour ajouter une touche de poésie, je vais faire une référence littéraire, et citer le monologue de Figaro qui faisait remarquer au Comte Almaviva qu’il n’avait eu que la chance et le mérite de naître dans la bonne famille, au bon endroit, au bon moment : 
« Qu'avez-vous fait pour tant de biens ? vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus : du reste, homme assez ordinaire ! tandis que moi, morbleu, perdu dans la foule obscure, il m'a fallu déployer plus de science et de calculs pour subsister seulement, qu'on n'en a mis depuis cent ans à gouverner toutes les Espagnes; et vous voulez jouter ! »
- Le Mariage de Figaro de Beaumarchais (Acte V, scène 3)
Bitcoin, est un réseau de paiements de pair-à-pair. Par définition, ou par code, il ne fait pas de distinction entre ses utilisateurs. L’humain serait incapable de fournir un tel service, car il est souvent mené par la quête de richesse, tandis que Bitcoin est conçu pour être impartial.

Même s’il peut sembler complexe au premier abord, je pense qu’il est essentiel de faire l’effort d’y consacrer du temps, de s’y intéresser, de l’adopter, et d’en discuter, car Bitcoin pourrait permettre à nos prochains d’au moins « subsister ».